Un peu de philo…

Il est absurde d’admettre que la douleur sans fin qui naît de la misère inhérente à la vie et qui remplit le monde, ne soit qu’un pur accident et non le but même. Chaque malheur particulier parait, il est vrai, une exception ; mais le malheur général est la règle. De même qu’un ruisseau coule sans tourbillons, aussi longtemps qu’il ne rencontre point d’obstacles, de même dans la nature humaine, la vie coule inconsciente et inattentive, quand rien ne s’oppose à la volonté. Si l’attention est éveillée, c’est que la volonté a été entravée et qu’il s’est produit quelque chose. Tout ce qui se dresse en face de notre volonté, qui la traverse ou lui résiste, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de désagréable et de douloureux, nous le ressentons sur-le-champ, et très nettement. Nous ne remarquons pas la santé générale de notre corps, mais seulement le point léger où le soulier nous blesse ; nous n’apprécions pas l’ensemble prospère de nos affaires, et nous n’avons de pensées que pour une minutie insignifiante qui nous chagrine. Le bien-être et le bonheur sont donc tout négatif, la douleur seule est positive.

Rien de plus absurde que les métaphysiques qui expliquent le mal comme négatif ; lui seul au contraire est positif, puisqu’il se fait sentir… tout bien, tout bonheur, toute satisfaction sont négatifs, car ils ne font que supprimer un désir et terminer une peine. En plus nous trouvons les joies au-dessous de notre attente, tandis que les douleurs la dépassent de beaucoup.

La vie de l’homme est un combat perpétuel, non pas seulement contre des maux abstraits, la misère ou l’ennui, mais contre les autres hommes. Partout on trouve un adversaire : la vie est une guerre sans trêve, et l’on meurt les armes à la main. Au tourment de l’existence vient s’ajouter la rapidité du temps qui ne nous laisse pas prendre haleine, et se tient derrière chacun de nous comme un garde-chiourme avec le fouet.

Pourtant, s’il était soustrait à la pression de l’atmosphère, de même si le poids de là misère, de la peine, des revers et des vains efforts était enlevé à la vie de l’homme, l’excès de son arrogance serait si démesuré, qu’elle le briserait ou tout du moins le pousserait jusqu’à la folie. Il faut à chacun une certaine quantité de soucis, de douleurs ou de misère.

La vie n’est qu’une grande mystification, une grande duperie…

 

080 La danseuse bleue et l'oiseau 60pp